Face à un allié américain plus imprévisible et à une Chine plus agressive, des stratèges militaires australiens se demandent s’il ne faudrait pas que l’Australie se pose la question d’acquérir une force de dissuasion nucléaire.
Pendant longtemps, les forces armées de l’immense pays-continent n’ont pas eu beaucoup de soucis à se faire.
Leur alliance centenaire avec les Etats-Unis était synonyme de garanties de sécurité en béton. Grâce à ses exportations de matières premières vers la Chine, l’Australie a connu 28 années sans récession.
Bascule des rapports de force
Mais le peu de considération de Donald Trump pour les alliances et la quête de Xi Jinping pour la suprématie dans le Pacifique fait vaciller ces deux piliers de la sécurité du pays.
« Loin d’être un trou perdu stratégique, l’Australie est clairement aujourd’hui en première ligne », juge Malcolm Davis, analyste à l’Institut australien de politique stratégique et ancien conseiller du ministère de la Défense. Il appelle depuis longtemps à repenser la défense du pays.
Pour l’instant, Canberra se montre prudent, tentant de préserver son alliance avec les Etats-Unis tout en poursuivant ses échanges avec la deuxième économie mondiale.
Mais pour Hugh White, doyen des analystes militaires de Canberra, qui a conseillé des Premiers ministres, il est temps de prendre des décisions.
Dans un livre récent intitulé « Comment défendre l’Australie », il évoque des questions complexes d’autonomie stratégique mais pose une question directe : « Quid des armes nucléaires ? »
Débat au long cours ?
Ce professeur d’études stratégiques à l’Université nationale australienne ne milite ni pour ni contre l’arme atomique mais dit que le sujet est inévitable désormais.
A l’appui de sa thèse, « les grands changements stratégiques en Asie » qui font qu’il « n’est plus évident que les armes nucléaires n’auront jamais aucun sens » pour la politique de défense.
« Le coût stratégique de renoncer aux armes nucléaires dans la nouvelle Asie pourrait être bien supérieur à ce qu’il a été jusqu’à présent ».
Toute dissuasion même limitée entraînerait des coûts économiques, politiques, diplomatiques et sociaux énormes. L’Australie devrait se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire et irriterait ses voisins.
Mais le pays pourrait éprouver des difficultés à se défendre seul, avec son faible nombre d’habitants et ses armes conventionnelles.
Pour le professeur White, sans garanties solides de Washington, la seule menace d’une attaque nucléaire de la Chine « nous contraindrait à capituler durant une guerre conventionnelle ».
D’après lui, les stratèges australiens étudient discrètement depuis des décennies l’opportunité de la dissuasion nucléaire et travaillent sur des calendriers.
Jusqu’alors, Canberra a toujours estimé que les risques étaient trop grands et que de toute façon, Washington veillait au grain. Mais avec Donald Trump, cette stratégie risque d’être anéantie d’un tweet.
Les menaces ont changé aussi.
Lasers
Des documents historiques montrent que les analystes militaires ne pensaient pas que l’Australie serait visée en cas de guerre nucléaire entre les Etats-Unis et l’URSS.
Les confrontations avec la Chine semblent en revanche plus vraisemblables. Deux régions dans la sphère australienne d’intérêts sont devenues des points chauds, la mer de Chine méridionale et le Pacifique Sud.
Des avions et bâtiments de guerre australiens patrouillent régulièrement en mer de Chine méridionale, région stratégique revendiquée en quasi-totalité par Pékin.
Mais dans les eaux internationales, les vaisseaux australiens sont pistés par l’armée chinoise.
Récemment, des pilotes d’hélicoptère de la marine australienne ont été visés par des lasers, les contraignant à se poser.
Le Premier ministre Scott Morrison est passé à la vitesse supérieure dans le Pacifique Sud, région qui attire de plus en plus l’attention de Pékin.
Des voix dissonantes balayent les idées de M. White comme étant coûteuses, irréalistes et inutiles.
« Pour le dire poliment, le consensus politique bipartisan sur la politique de défense australienne est à des années lumières de la position de White », lance Sam Roggeveen de l’Institut Lowy dans une critique de son ouvrage.
Toutefois, ajoute-t-il, la présentation qu’il fait de la montée en puissance de la Chine face à des Etats-Unis diminués « est fondée sur une analyse objective » et « convaincante ».