L’Iran a annoncé qu’il cessait d’appliquer « certains » de « ses engagements » pris dans le cadre de l’accord international sur son programme nucléaire de 2015, en réponse à la dénonciation unilatérale de ce pacte par Washington il y a un an jour pour jour.
Tensions
Téhéran a menacé de renoncer à d’autres engagements si les États restés parties à l’accord ne trouvent pas de solution d’ici à 60 jours pour alléger les lourds effets des sanctions américaines visant le pays notamment dans les secteurs pétrolier et bancaire.
Ces annonces interviennent dans un climat de tensions exacerbées entre l’Iran et les Etats-Unis, qui ont annoncé mardi l’envoi de bombardiers B-52 dans le Golfe. Washington a fait de l’Iran son ennemi numéro un au Moyen-Orient et l’a accusé de préparer des « attaques imminentes » contre les forces américaines.
A compter de ce mercredi, l’Iran cesse de restreindre ses réserves d’eau lourde et d’uranium enrichi, revenant sur des engagements pris dans l’accord conclu à Vienne en juillet 2015 et limitant drastiquement son programme nucléaire, a annoncé le Conseil suprême de la sécurité nationale (CSSN).
Le président Hassan Rohani a affirmé que ces mesures étaient conformes à l’accord de Vienne qui permet aux parties de suspendre partiellement ou intégralement certains de leurs engagements en cas de manquement imputé à une autre partie.
« Opération chirurgicale »
L’accord « avait besoin de subir une opération chirurgicale » après « qu’une année de sédatifs n’a produit aucun effet », a déclaré M. Rohani.
« Cette opération chirurgicale est destinée à sauver l’accord, pas à le détruire, a-t-il insisté.
La décision iranienne a été notifiée officiellement aux ambassadeurs à Téhéran des pays encore parties à ce pacte (Allemagne, Chine, France, Grande-Bretagne et Russie).
Validé par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, l’accord de Vienne a permis la levée d’une partie des sanctions internationales visant l’Iran.
En échange, Téhéran a accepté de limiter drastiquement son programme nucléaire et s’est engagée à ne jamais chercher à se doter de l’arme atomique.
Mais jugeant que l’accord n’offrait pas de garanties suffisantes, le président américain Donald Trump en a retiré les Etats-Unis le 8 mai 2018 et rétabli les sanctions américaines qui avaient été levées.
Celles-ci affectent lourdement l’économie iranienne et rendent pratiquement impossible toute relation commerciale entre l’Iran et d’autres pays.
La Russie a dénoncé mercredi la « pression déraisonnable » subie par l’Iran qui a poussé ce pays à renoncer à certains engagements. Moscou reste « engagé » dans cet accord, a ajouté le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
« Nous appelons toutes les parties en présence à faire preuve de retenue, à renforcer le dialogue et à éviter une escalade des tensions », a réagi Pékin, plaidant pour la poursuite de l’application de l’accord.
En France, la ministre des Armées Florence Parly n’a pas exclu que l’Union européenne (UE) prenne des sanctions contre l’Iran.
Israël a affirmé qu’il ne laisserait pas son ennemi iranien « se doter de l’arme nucléaire », même si Téhéran a toujours démenti vouloir se doter d’une telle arme.
« 60 jours »
Les Européens, qui répètent leur attachement à l’accord, se sont montrés jusque-là incapables de permettre à l’Iran de bénéficier des avantages économiques qui lui ont été promis.
Le CSSN a donné mercredi « 60 jours » à ces partenaires pour « rendre opérationnels leurs engagements en particulier dans les secteurs pétrolier et bancaire » sous peine de ne plus respecter d’autres clauses de l’accord.
L’UE a tenté, sans grand succès jusqu’à présent, de mettre en place un mécanisme permettant à l’Iran de continuer à commercer avec ses entreprises en contournant les sanctions américaines.
Sans réponse satisfaisante sous 60 jours, « nous cesserons d’observer » les restrictions consenties « sur le degré d’enrichissement de l’uranium et l’Iran reprendra son projet de construction d’un réacteur à eau lourde à Arak (centre de l’Iran) mis en sommeil conformément à l’accord de Vienne, a précisé M. Rohani.
Selon Téhéran, les mesures annoncées sont réversibles « à tout moment » si ses demandes « sont prises en compte ».
Mais si au bout 120 jours, « nous ne sommes pas parvenus à un résultat, une autre mesure sera prise », a ajouté M. Rohani, sans donner plus de détail sur celle-ci.
Washington pointée du doigt
Pour Robert Kelley, expert à l’Institut international de Stockholm pour la recherche sur la paix (Sipri) et ancien inspecteur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les annonces iraniennes n’ont pas « de portée stratégique ».
« Ce n’est pas parce qu’ils produisent des matériaux nucléaires et dépassent les limites (de stocks) autorisées qu’ils vont construire une arme nucléaire », a-t-il expliqué. Il estime que l’Iran cherche surtout à « sauver la face » alors qu’il a « conclu un accord qui n’est pas respecté par l’autre partie ».
« La fenêtre qui est ouverte actuellement pour la diplomatie ne le restera pas longtemps, et la responsabilité de l’échec [de l’accord nucléaire] et ses conséquences probables incomberont entièrement aux Etats-Unis » et aux autres parties à l’accord, a averti Téhéran.
Chargée de vérifier sur le terrain l’application par l’Iran de l’accord de Vienne l’AIEA a jusqu’à présent toujours attesté que Téhéran respectait ses engagements.
Téhéran a ainsi limité jusqu’ici son stock d’eau lourde à 130 tonnes maximum, et ses réserves d’uranium enrichi (UF6) à 300 kg et a renoncé à enrichir l’uranium à un taux supérieur à 3,67%.