
[DECRYPTAGE] Trump déclenche une guerre mondiale économique : Pourquoi les entreprises doivent engager une revue stratégique permanente face à l’irruption d’un monde BANI ?
Par-delà l’effet Trump : une transformation systémique des environnements stratégiques
Les entreprises évoluant à l’export doivent désormais se préparer à naviguer dans un monde où les repères traditionnels et le droit international sont mis à rude épreuve. Une stratégie par objectif quantitatif sous le règne des feuilles Excel est révolue.
Les dernières annonces de Donald Trump — qu’il s’agisse de sa volonté de remettre en cause les alliances multilatérales, de reconfigurer les relations commerciales, de réduire au maximum le rôle de l’État fédéral ou d’adopter des postures hétérodoxes vis-à-vis des organisations internationales — ne relèvent pas de l’accident politique. Elles participent d’une recomposition structurelle d’un ordre international désormais dominé par des logiques de fragmentation, de puissance, d’irrationalité politique, de brutalité et de polarisation normative.
Qu’est-ce que la polarisation normative ?
La polarisation normative désigne un processus par lequel les systèmes d’acteurs internationaux (États, organisations internationales, entreprises transnationales, acteurs non étatiques) ne partagent plus un socle commun de normes, c’est-à-dire de règles, principes ou standards qui régissent les comportements au sein du système international. Elle traduit donc un éclatement des cadres de référence partagés au profit de normes divergentes, concurrentes, voire opposées.
Le problème pour les entreprises n’est pas tant Trump lui-même que le contexte géopolitique dont il est à la fois un produit et un accélérateur.
L’obsolescence des grilles de lecture traditionnelles : la limite de VUCA
Depuis les années 1990, la majorité des outils d’analyse stratégique des organisations s’est construite autour du paradigme VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity), largement diffusé dans les sphères de gouvernance des entreprises globalisées.
Mais la montée des crises politiques à fort degré d’irrationalité, les choix souverains imprévisibles, les ruptures technologiques, nombreuses et contrôlées par des acteurs privés en ultra-compétition, ou encore les chocs géoéconomiques volontaires (sanctions, protectionnisme, weaponization des interdépendances) viennent démontrer les limites de cette matrice.
VUCA suppose un monde instable mais encore partiellement intelligible, un monde où l’incertitude est cartographiable, les scénarios modélisables, les risques quantifiables.
Or, l’époque actuelle nous projette dans une autre configuration : celle d’un monde non-linéaire, incompréhensible, et fragilisé par des dynamiques internes explosives.
Le passage nécessaire à une lecture BANI du monde contemporain
Le modèle BANI (Brittle, Anxious, Non-linear, Incomprehensible), forgé dans les cercles de la prospective et de la stratégie avancée, propose une nouvelle lecture des risques géopolitiques et systémiques contemporains.
- Brittle : des systèmes apparemment robustes mais vulnérables aux ruptures brutales (ex : chaînes de valeur mondialisées face à la fermeture des détroits, infrastructures critiques en contexte de guerre hybride) ;
- Anxious : des acteurs économiques et sociaux dominés par l’incertitude émotionnelle, produisant des comportements irrationnels ou défensifs, en décalage avec les logiques classiques de marché ;
- Non-linear : des événements dont les effets s’emballent hors de toute proportion logique ou séquentielle (ex : effets géopolitiques d’une crise énergétique locale à l’échelle mondiale, tsunami, Fukushima, pandémie) ;
- Incomprehensible : une réalité où la surinformation, la désinformation et l’opacité des intentions stratégiques brouillent les capacités d’analyse même des acteurs les mieux informés.
L’impératif géopolitique : institutionnaliser une revue stratégique permanente
Dans ce contexte BANI, les directions d’entreprises ne peuvent plus se contenter d’une stratégie figée ou d’outils d’analyse standardisés.
Elles doivent entrer dans une logique de revue stratégique permanente, structurée autour de quatre piliers :
- Veille géopolitique renforcée : accès à une information de haute qualité, intégration des signaux faibles, des tendances structurelles émergentes et des zones de ruptures potentielles ;
- Modélisation de scénarios dynamiques : non plus sur des horizons fixes mais avec des trajectoires adaptatives selon les évolutions rapides du contexte ;
- Culture de l’adaptabilité organisationnelle : gouvernance flexible, dispositifs de crise pré-positionnés, capacité d’ajustement rapide des chaînes de décision ;
- Investissement dans l’intelligence collective : décloisonnement des savoirs internes, recours à des experts pluridisciplinaires, hybridation des approches prospectives.
Penser stratégiquement à l’ère de la discontinuité
Le véritable risque pour les entreprises n’est pas l’instabilité elle-même, elle a toujours existé. Le risque majeur est de continuer à penser un monde soit :
- Stable avec des complications temporaires, comme un monde linéaire ;
- Instable avec des périodes d’accalmie faisant croire à une théorie des cycles ;
- Complexe avec des outils conçus pour un monde compliqué.
Dans un environnement géopolitique BANI, l’avantage concurrentiel appartient à ceux qui acceptent l’incertitude non pas comme un paramètre à réduire, mais comme un milieu à habiter lucidement. C’est à cette condition que les entreprises pourront non seulement survivre, mais surtout tirer parti des nouvelles asymétries de pouvoir, des espaces non régulés, et des opportunités surgissant des fractures du monde contemporain.
Décryptons en comité de direction l’instabilité géopolitique pour transformer l’incertitude en levier stratégique
Dans ce contexte de recomposition géopolitique rapide, il devient indispensable pour les entreprises d’organiser des temps de réflexions et d’échanges stratégiques au plus haut niveau de gouvernance.
C’est précisément dans cette perspective que j’accompagne les comités de direction, les conseils d’administration et les équipes dirigeantes dans la lecture des nouvelles dynamiques géopolitiques et l’analyse de leurs impacts sur les activités, les marchés et les chaînes de valeur.
Mes interventions sont conçues comme des temps de décodage stratégique, mêlant analyse des risques géopolitiques, identification des zones d’instabilité, et construction de scénarios opérationnels adaptés aux enjeux propres de chaque organisation.
Par mes approches transverses, je suis à votre disposition. Contactez-moi : denis@denisdeschamps.com
📚 Références utiles
Helbing, Dirk. “Globally networked risks and how to respond,” Nature, 2013 – excellent pour penser VUCA & BANI dans la gestion globale du risque.s. Ils investissent, influencent, colonisent les récits et achètent les règles du jeu. » — Giuliano da Empoli.
Cascio, Jamais. Facing the Age of Chaos (Medium, 2020) – Texte fondateur de BANI
Bennett, Nathan & Lemoine, G. James. « What VUCA Really Means for You », Harvard Business Review, 2014.
Kauffman, Stuart. At Home in the Universe – pour l’approche systémique (reliée au “Complex” de VUCA)