Vous apporter une grille de lecture pour décrypter analyser comprendre le monde

[ANALYSE] Trump « féodalise » la vieille Europe

sommet Europe-USA en Ecosse
sommet Europe-USA en Ecosse

Trump avait déjà gagné sa guerre commerciale, il enfonce le clou avec ses « amis » et « alliés » européens !


=> Du point de vue américain : c’est un coup de maître 🥳
=> Du point de vue européen : c’est une féodalisation ! 😡

Après avoir recueilli plus de 1.800 milliards d’investissements des entreprises du monde entier, plus de 4.000 milliards de dollars de dépenses et d’investissements de la part de l’Arabie Saoudite, voici maintenant l’Europe qui verse son obole à MAGA. 

Négociation ou soumission ?

A la lumière des mécontentements exprimés lundi par les chefs d’État et de gouvernement partout en Europe, cet accord est, selon certains, pour le moins « déséquilibré » alors que d’autres le qualifie de « perdant-perdant », de « trahison » ou de « mépris complet des règles de l’OMC ». Nous avons également entendu que c’est un « jour sombre pour l’Europe » ou encore « Réveille-toi Jean Monnet ».

Bien que la façon de procéder de Donald Trump pour mener une négociation est connue (invectives, menaces, taux de taxation préliminaire aberrant, conciliateur, cajoleur, faiseur de deal), – il en a même écrit un livre- , avec un avant-goût grandeur nature lors de son premier mandat, la Présidente de la Commission a fait subir à l’Union européenne un Waterloo sidérant, devant les caméras de télévision du monde entier.

L’accord de Turnberry confirme que les échanges transatlantiques sont entrés dans une nouvelle ère, celle d’un protectionnisme américain décomplexé. Jusqu’au retour au pouvoir de Donald Trump, ils étaient marqués par un niveau de droits de douane américains de 4,8 % en moyenne.

Les détails de l’accord doivent encore être réglés « dans les prochaines semaines », selon la dirigeante européenne. « Quinze pour cent, ce n’est pas négligeable, mais c’est le mieux qu’on pouvait obtenir », a-t-elle plaidé.

La Russie, elle aussi, s’est alarmée de cet accord UE/USA. « Une telle approche mènera à une poursuite de la désindustrialisation de l’Europe, à un mouvement des investissements de l’Europe vers les Etats-Unis et, bien sûr, cela sera un coup très dur », a réagi Sergueï Lavrov.

La parade de Trump

L’annonce du dénouement s’est faite dans la fastueuse salle de bal du complexe de golf Trump Turnberry.

« Nous avons trouvé un accord », annonce le dirigeant républicain, le qualifiant de « plus grand » jamais conclu en matière de commerce, et en y voyant une promesse « d’unité et d’amitié ».

L’amitié est aussi fictive que l’unité déclarée, l’Europe est fragmentée, partagée entre colère et résignation, définitivement méfiante vis-à-vis de son allié outre atlantique, venu pourtant la sauvée à deux reprises au XXème siècle. 

La patronne de l’exécutif européen salue, elle, un « bon accord » qui apportera de la « stabilité ».

L’accord avec l’UE est annoncé dans la foulée de ceux conclus ces derniers jours avec le Japon, le Vietnam, les Philippines et l’Indonésie, obtenus au prix d’importantes concessions de la part des pays visés et après des discussions compliquées.

État des lieux des échanges commerciaux UE-US

L’enjeu était de taille. Les deux principales puissances commerciales de la planète s’échangent chaque jour près de 4,4 milliards d’euros de biens et services.

La relation commerciale USA-UE représente 30% des échanges mondiaux, avec 1.680 milliards d’euros de biens et services échangés en 2024. Sur les biens (867 milliards d’euros), les Etats-Unis, premier partenaire de l’UE (plus de 20% de ses exportations), affichaient en 2024 un déficit de 198 milliards d’euros. En revanche sur les services, les Etats-Unis étaient excédentaires, à 148 milliards.

En valeur, c’est de loin l’Allemagne qui exporte le plus de marchandises vers les Etats-Unis, pour un montant de 161,2 milliards de dollars en 2024, suivie par l’Irlande et l’Italie, respectivement 72 et 64 milliards de dollars (données Eurostat).

La France est moins exposée, mais les champions de l’agroalimentaire et du luxe seront particulièrement touchés.

L’Irlande enregistre l’excédent commercial le plus large des membres de l’UE avec 86,7 milliards de dollars en valeur. C’est aux Etats-Unis que l’Irlande exporte plus du quart de ses produits. Cela s’explique notamment par l’implantation en Irlande de grands groupes américains, notamment pharmaceutiques, comme Pfizer, Eli Lilly ou Johnson & Johnson pour bénéficier d’un impôt à 15 % sur les grandes sociétés, contre 21 % aux Etats-Unis. Ces sociétés peuvent ainsi y héberger leurs brevets et vendre sur le marché américain, où les prix des médicaments sont traditionnellement plus élevés que dans le reste du monde. L’Irlande accueille par ailleurs sur son sol la plupart des sièges européens des géants américains de la « tech », comme Apple, Google ou Meta, également séduits par la fiscalité attractive.

Première économie européenne, l’Allemagne a dégagé en 2024 un excédent commercial record de 84,8 milliards de dollars avec les Etats-Unis. Ces derniers absorbent à eux seuls 10,5 % des exportations allemandes. Les Américains se montrent friands des marques automobiles venues d’Allemagne, mais aussi de machines-outils et de produits pharmaceutiques. La banque centrale allemande a averti que les droits de douane américains sur les produits allemands pourrait réduire de 1 % le produit intérieur brut du pays.

La capitulation en chiffres

Quelles réalités se cachent derrière l’accord sur des droits de douane à 15 % pour tous les pays de l’Union européenne ?

L’UE qui s’engage à :

  • 750 milliards de dollars d’achats d’énergie (gaz naturel, combustibles nucléaires et pétrole), sur trois ans, visant notamment à remplacer le gaz russe ;
  • 600 milliards d’investissements supplémentaires aux Etats-Unis ;
  • Le président américain a évoqué des « centaines de milliards de dollars » d’achats d’armement par les Européens, correspondant au passage à 5 % des dépenses pour l’Otan, soit près de 600 milliards de dollars par an d’achat de matériels américains (notamment le fameux F35).

Notons également que les normes européennes restent en vigueur (pour les produits européens vendus aux Etats-Unis), mais jusqu’à quand ?

Mais la présidente de la Commission européenne se satisfait qu’il n’y aurait plus aucun droit de douane sur des « secteurs stratégiques » comme l’aéronautique, « certains produits chimiques, certains produits agricoles » ou encore « certaines matières premières stratégiques ». La liste de ces produits n’a toutefois pas été détaillée. Les Européens voulaient également y inclure les alcools et le vin, mais faute d’accord définitif, une décision a été renvoyée à de nouvelles discussions, selon Mme von der Leyen. « C’est quelque chose qui doit être résolu dans les prochains jours », a-t-elle assuré.

Détails sectoriels

Médicaments : Les produits pharmaceutiques sont les produits aujourd’hui les plus exportés depuis l’Europe vers les Etats-Unis, pour près de 120 milliards d’euros en 2024 (22,5% du total des biens exportés), selon Eurostat. Jusqu’ici exemptés de droits de douane, ils ne bénéficieront pas de traitement particulier, a prévenu Donald Trump dimanche, sans toutefois donner davantage de précisions.

Transports : Près de 70 milliards d’euros d’équipements de transport ont été exportés par des sociétés européennes aux Etats-Unis en 2024. L’industrie automobile y a vendu près de 750.000 voitures pour 38,5 milliards d’euros. L’Allemagne en produit la majorité, notamment des berlines, SUV et sportives premium de chez Audi, Porsche, BMW, Mercedes. L’automobile européenne redescend à 15%, au lieu de 2,5% avant l’administration Trump 2 et contre 27,5% depuis avril.

Aéronautique : Les droits de douane américains pesaient lourd sur ce secteur très mondialisé. Depuis mars, une surtaxe de 50% s’appliquait sur les importations d’aluminium et d’acier, matériaux phares de l’aéronautique. Et l’ensemble des équipements (dont les avions) importés d’Europe devaient s’acquitter d’une surtaxe de 10%. L’accord annoncé dimanche prévoit de ramener à zéro les taxes sur les équipements d’aéronautique.

Luxe et cosmétiques : Ces dernières semaines ont vu Bernard Arnault, patron du géant français LVMH, se démener pour limiter les surtaxes, auprès des dirigeants européens comme de Donald Trump. Pour LVMH, un droit de douane de 15% « serait un bon résultat », avait estimé le groupe la semaine dernière lors de l’annonce des résultats, le groupe estimant pouvoir compenser par une hausse de prix et une « optimisation de production », notamment aux Etats-Unis, où il réalise un quart de ses ventes. Le numéro un mondial du luxe a annoncé l’ouverture d’un nouvel atelier Louis Vuitton au Texas qui sera le 4e atelier de la marque aux Etats-Unis. En mai, son concurrent François-Henri Pinault, du groupe Kering qui détient Gucci ou Balenciaga, avait lui déclaré que « ça n’aurait pas de sens d’avoir des sacs Gucci italiens fabriqués au Texas ». Les cosmétiques de marques françaises et italiennes sont aussi très vendus aux Etats-Unis : en 2024, L’Oréal  a réalisé 27% de son chiffre d’affaires en Amérique du Nord. Son directeur général évoquait en avril la possibilité d’y relocaliser une part de la production.

Agroalimentaire : « Certains produits agricoles » seront exemptés de taxation à 15%, a dit Ursula von der Leyen. Mais aucune précision n’a été fournie. En 2024, l’UE a exporté pour 8 milliards d’euros d’alcools, dont plus de 5 milliards de vin, aux Etats-Unis, son premier marché à l’exportation. La France représente environ la moitié : 2,4 milliards d’euros de vin et 1,5 milliard de spiritueux ont été écoulés aux Etats-Unis (environ 25% de ses exportations). Pour l’Italie c’est environ 2 milliards d’euros de vin exportés. La Suède écoule aux États-Unis sa vodka, l’Irlande son whisky… Les vins de Bordeaux par exemple y réalisent 20 % de leur chiffre d’affaires. D’autres produits alimentaires (fromages, conserverie, etc.) forment un poste d’exportation majeure.

Industries : Machines et équipements industriels, ainsi que des équipements électriques et électroniques sont largement exportés vers les USA (90 et 45 milliards d’euros annuels respectivement). A ce stade, l’impact sur les sociétés semble inégal. Le français Legrand (équipements électriques) estimait en mai le coût des surtaxes entre 150 et 200 millions d’euros. Il compte compenser par des hausses de prix ponctuels et des pays de fabrication à plus faibles tarifs, mais pas de « rapatriation massive aux Etats-Unis », selon son directeur général. En juillet, Nokia, équipementier finlandais de télécommunications qui réalise 30% de ses ventes aux Etats-Unis, a en revanche revu à la baisse ses perspectives pour 2025, du fait en partie de ces droits de douane.

Quelle légitimité pour Ursula von der Leyen ?

L’escapade écossaise de la Présidente de la commission européenne le weekend dernier a montré au moins trois facteurs :

  • Elle semble décider seule pour 450 millions d’européens ;
  • Elle semble ne pas consulter les autres chefs d’état et de gouvernement des pays qu’elle représente ;
  • Elle est une très mauvaise négociatrice des intérêts européens, à croire qu’elle prépare son « job d’après », comme son prédécesseur José Manuel Barroso qui est allé « se vendre » chez Goldman Sachs.

La présidente de la Commission européenne a pris soin de flatter le dirigeant de 79 ans au terme de l’accord : « Vous êtes connu pour être un négociateur difficile… », lui a-t-elle dit. « Mais juste ! » l’interrompt Donald Trump, suscitant des rires approbateurs dans sa délégation. « Mais juste… », concède du bout des lèvres Ursula von der Leyen.

Partager :