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L’administration Trump a publié la nouvelle « Stratégie de sécurité nationale » (1).
Les présidents américains publient généralement une présentation stratégique de ce type à chaque mandat. La dernière, publiée par Joe Biden en 2022 (2), avait mis l’accent sur l’acquisition d’un avantage compétitif sur la Chine tout en limitant une Russie jugée « dangereuse ».
Résolument nationaliste, cette nouvelle stratégie déclare :
- « L’effacement civilisationnel » de l’Europe,
- Recommande la lutte contre les « migrations de masse »,
- Prône la « suprématie américaine » en Amérique latine,
- « Ce document est une feuille de route pour garantir que l’Amérique reste la nation la plus grande et la plus prospère de l’histoire de l’humanité et le foyer de la liberté sur terre ».
« Dans tout ce que nous faisons, nous mettons l’Amérique d’abord », résume Donald Trump dans une préface au document de 33 pages, qui exhorte à « protéger le pays contre les invasions ».

Commerce
« Depuis les alliances militaires jusqu’aux relations commerciales et au-delà, les États-Unis insisteront pour être traités équitablement par les autres pays. Nous ne tolérerons plus, et ne pouvons plus nous permettre, les avantages comparatifs, les déséquilibres commerciaux, les pratiques économiques prédatrices et autres contraintes pesant sur la bonne volonté historique de notre nation au détriment de nos intérêts ».
« Nous recherchons des accords commerciaux équitables et réciproques avec les nations qui souhaitent commercer avec nous sur une base de bénéfice mutuel et de respect. Mais nos priorités doivent et seront nos propres travailleurs, nos propres industries et notre propre sécurité nationale. L’avenir appartient aux fabricants. Les États-Unis réindustrialiseront leur économie, relocaliseront la production industrielle et encourageront les investissements dans notre économie et de notre main-d’œuvre ».
La puissance militaire
Le Président américain affirme que « l’époque où les États-Unis soutenaient l’ordre mondial tout entier, tel Atlas, est révolue », et revendique de tourner la page aux décennies de l’après Seconde Guerre mondiale. « Nous voulons recruter, former, équiper et déployer l’armée la plus puissante, létale et technologiquement avancée au monde afin de protéger nos intérêts, dissuader les guerres et, si nécessaire, les gagner rapidement et de manière résolue ».
« Les États-Unis doivent être en position dominante sur le continent américain comme condition de notre sécurité et de notre prospérité ».
« Les affaires des autres pays ne nous concernent que si leurs activités menacent directement nos intérêts ».
L’effacement de l’Europe
« Si les tendances actuelles se poursuivent, le continent européen sera méconnaissable dans 20 ans ou moins », affirme-t-il, alors que les relations entre les Etats-Unis et l’Union européenne se tendent, sur fond de négociations pour mettre fin à la guerre entre la Russie et l’Ukraine sans que le Vieux continent ne soit impliqué.
Le document évoque « l’anxiété européenne vis-à-vis de la Russie », mais « ne précise pas si les Etats-Unis s’inquiètent d’une éventuelle agression russe, alors que cela devrait être une préoccupation pour les Etats-Unis, non seulement en Europe, mais aussi dans l’Arctique, au Moyen-Orient, en Afrique et dans le Pacifique », analyse Kristine Berzina, chercheuse au cercle de réflexion German Marshall Fund, basé à Washington.
« Perte des identités nationales » européennes
Washington dénonce pêle-mêle les décisions européennes qui « sapent la liberté politique et la souveraineté, les politiques migratoires qui transforment le continent et créent des tensions, la censure de la liberté d’expression et la répression de l’opposition politique, la chute des taux de natalité, ainsi que la perte des identités nationales ».
L’administration Trump émet le vœu que « l’Europe reste européenne, retrouve sa confiance en elle-même sur le plan civilisationnel et abandonne son obsession infructueuse pour l’asphyxie réglementaire ».
Le document appelle encore à « cultiver la résistance » au sein de l’Europe, dénonçant la « censure de la liberté d’expression et la répression de l’opposition politique », faisant notamment allusion aux efforts visant à contenir l’extrême droite dans certains pays.
Mutation de l’OTAN
« Il est plus que plausible que, d’ici quelques décennies au plus tard, les membres de l’Otan deviennent majoritairement non européens », assure le texte, suggérant ainsi une ouverture vers les alliés asiatiques pour « contenir » la Chine, l’administration américaine avait déjà émis l’idée, il y a quelques années, d’un rapprochement avec le Japon (3) (4).
Le document promet qu’il n’y aura pas d’élargissement de l’Otan, l’alliance transatlantique dont les Etats-Unis sont la puissance clé, anéantissant une fois de plus les espoirs de l’Ukraine qui subit l’invasion russe.
Afrique et Moyen-Orient
Le document survole la stratégie sur l’Afrique et le Proche-Orient en seulement quelques paragraphes, et souligne la réorientation de la politique diplomatique et militaire américaine au regard des évolutions géopolitiques planétaires, mais surtout des intérêts de Washington nouvellement définis.
Concernant l’approvisionnement énergétique américain, le texte estime que « la raison historique de l’Amérique de se concentrer sur le Moyen-Orient va diminuer », puisque le pays est indépendant et exportateur dans ce domaine, et souligne l’affaiblissement de l’Iran suite aux attaques américaines et israéliennes.

Amérique latine
La stratégie de Trump appelle à « restaurer la suprématie américaine » en Amérique latine, et annonce un « réajustement » de la présence militaire américaine dans le monde, « pour répondre aux menaces urgentes sur notre continent ». Il recommande aussi « un éloignement des théâtres dont l’importance relative pour la sécurité nationale américaine a diminué ces dernières années ou décennies ».
Augmenté du « corollaire Trump », c’est la résurrection de la doctrine Monroe (5), la déclaration de 1823 des Etats-Unis selon laquelle l’Amérique latine est leur chasse gardée. Les Etats-Unis doivent chercher à accéder aux ressources et aux emplacements stratégiques en Amérique latine et veiller à ce que les gouvernements soient « suffisamment stables et bien gouvernés pour prévenir et décourager les migrations massives vers les Etats-Unis ».
Faisant allusion à la Chine, la stratégie indique que les États-Unis « refuseront aux concurrents non-hémisphériques la possibilité de positionner des forces ou d’autres capacités menaçantes, ou de posséder ou de contrôler des actifs stratégiques ».
Chine, ce concurrent systémique
Concernant la Chine, la stratégie réitère les appels pour une région Asie-Pacifique « libre et ouverte », mais met davantage l’accent sur la concurrence économique.
« À l’avenir, nous rééquilibrerons la relation économique de l’Amérique avec la Chine, en donnant la priorité à la réciprocité et à l’équité pour restaurer l’indépendance économique américaine. Cela doit être accompagné d’un effort de dissuasion robuste et continu pour prévenir la guerre en Indo-Pacifique ». « Prévenir un conflit autour de Taïwan, idéalement en préservant une supériorité militaire, est une priorité ».
Le Japon et la Corée du Sud sont appelés à soutenir Taïwan, les Etats-Unis étant en faveur du maintien du statu quo.
L’Inde, la non-alignée
Le document exprime son enthousiasme pour le renforcement des liens avec l’Inde, qui a été courtisée par les présidents américains successifs, mais qui a connu des frictions avec Donald Trump. La stratégie version Trump appelle les Etats-Unis à encourager New Delhi, historiquement non-alignée mais qui entretient des relations tendues avec la Chine, « à contribuer à la sécurité indo-pacifique ».
Frontières et migrations
Par ailleurs, « l’ère des migrations de masse doit prendre fin. La sécurité des frontières est l’élément principal de la sécurité nationale », affirme ce document, dans le prolongement du tour de vis du président Trump contre l’immigration. Dernières décisions en date de la politique anti-immigration de Donald Trump, la suspension des demandes de carte verte de résident permanent ou de naturalisation émanant de ressortissants de 19 pays.
« Nous devons protéger notre pays contre les invasions, non seulement les migrations incontrôlées mais aussi les menaces transfrontalières telles que le terrorisme, les drogues, l’espionnage et la traite des êtres humains ». « Une frontière contrôlée par la volonté du peuple américain, telle que mise en œuvre par leur gouvernement, est fondamentale pour la survie des États-Unis comme république souveraine ».

Que retenir de cette évolution stratégique ?
Peu d’éléments nouveaux au regard des 5 (4+1) années de gouvernance Trump, si ce n’est la position de plus en plus clairement exprimée de cette administration sur ce qu’elle pense de notre vieille Europe.
L’orientation est clairement « America First » pour déployer encore un peu plus l’économie américaine sur deux fronts :
- Les approvisionnements, notamment en matériaux stratégiques et/ou rares,
- Les débouchés, avec l’exigence d’avoir une Asie plus ouverte aux biens américains, avec la Chine et l’Inde clairement ciblées.
Ce document peut se révéler important à moyen terme, si les conservateurs gardent le pouvoir après Trump, avec à ce jour une hypothèse Vance, pouvant servir de « jurisprudence » comme point d’appui pour accélérer par la suite cette multi-polarité, dans les domaines de la gouvernance mondiale et de l’économie, effaçant la multi-latéralité du monde mise en place après la seconde guerre mondiale, en favorisant les échanges entre nation pour éviter les conflits mondiaux, définitivement installée avec les accords du GATT de l’Uruguay round ( 6) en 1994.
En somme, cette nouvelle doctrine pourrait servir de point de bascule.
1 https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2025/12/2025-National-Security-Strategy.pdf
2 https://nssarchive.us/national-security-strategy-2022/
4 https://www.fr.emb-japan.go.jp/itpr_ja/11_000001_02633.html
6 https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact5_f.htm
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