
Depuis le début des années 2020, la multiplication et l’intensification des crises géopolitiques ont profondément modifié l’environnement de la stabilité financière internationale. L’invasion russe de l’Ukraine, l’aggravation des tensions au Moyen-Orient, la rivalité stratégique sino-américaine ou encore la montée des cyberconflits ont contribué à accroître l’incertitude macroéconomique globale. Dans ce contexte, les institutions européennes de supervision financière ont progressivement intégré le risque géopolitique comme une variable structurante de leur analyse prudentielle.
Alors que le secteur bancaire européen présente, à première vue, des indicateurs de solidité élevés — ratios de fonds propres record, amélioration de la gouvernance, rentabilité soutenue —, l’Autorité bancaire européenne (ABE) et la Banque centrale européenne (BCE) soulignent néanmoins une vulnérabilité persistante aux chocs externes, en particulier lorsque ceux-ci sont d’origine géopolitique et difficilement modélisables.
Risque géopolitique
Le risque géopolitique peut être défini comme la probabilité que des événements internationaux — conflits armés, sanctions économiques, ruptures commerciales, cyberattaques — affectent négativement les conditions économiques, financières ou institutionnelles d’un pays. Contrairement aux risques financiers traditionnels, il se caractérise par une forte non-linéarité, une incertitude radicale et une difficulté d’anticipation.
Dans la littérature sur la stabilité financière, ce type de risque est généralement appréhendé comme un facteur exogène susceptible de déclencher ou d’amplifier un risque systémique, en affectant simultanément les marchés financiers, la solvabilité des emprunteurs, la liquidité bancaire et la confiance des investisseurs. Les travaux de la Banque des règlements internationaux (BRI) et du Fonds monétaire international (FMI) montrent que les chocs géopolitiques tendent à accroître la volatilité des marchés, à renchérir les primes de risque souverain et à perturber les canaux de financement transfrontaliers. (4)
Le diagnostic de l’Autorité bancaire européenne
L’Autorité bancaire européenne (ABE) maintient sa mise en garde contre l’instabilité géopolitique pour les banques de l’espace économique européen, malgré la qualité de leurs actifs, dans un rapport (1) (2).
« L’instabilité géopolitique, les tensions commerciales mondiales et l’augmentation de la dette souveraine accroissent les risques pour les banques européennes, entraînant des primes de risque plus élevées sur les obligations d’État et des marchés de financement plus volatils », indique l’institution européenne, créée en 2010.

Le secteur bancaire de l’Espace économique européen (qui inclut les 27 États membres de l’Union européenne et l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège) reste « très vulnérable aux chocs externes en raison de l’incertitude persistante ».
En effet, selon l’ABE, les risques géopolitiques et géo-économiques affectent désormais non seulement « la volatilité des marchés », mais aussi « la qualité des actifs des banques », « leurs stratégies de prêt » et « leur gestion des risques ».
Ainsi, l’exposition directe et indirecte des banques de l’UE/EEE aux États-Unis amplifie leur vulnérabilité aux chocs externes, « comme le montrent les réactions des cours des actions aux annonces de tarifs douaniers américains », ajoute-t-elle.
L’institution reconnait cependant que les banques « renforcent leur gouvernance, et intègrent la planification de scénarios ». De plus, les banques de l’UE et de l’espace économique européen « maintiennent une base de capital solide, avec des ratios de capital atteignant des niveaux record grâce à une forte croissance organique du capital ». « Malgré la baisse des revenus nets d’intérêts, les banques ont maintenu des bénéfices élevés grâce à des revenus résilients de frais et commissions et à un contrôle des coûts », ajoute l’ABE.
Par ailleurs, les risques opérationnels restent également élevés, alimentés par les menaces cyber, la fraude et les risques juridiques, souligne le rapport. « Les attaques par déni de service distribué (DDoS) et les ransomwares (rançongiciels) sont prédominants », mais « le Digital Operational Resilience Act (Dora) améliore la réponse aux incidents ». Le règlement Dora, entré en vigueur en janvier, est une réponse réglementaire européenne à la montée des cyberattaques que subissent les acteurs du secteur financier. Son but est de limiter le risque de contagion d’un incident ou d’une cyberattaque.
L’approche de la Banque centrale européenne : vers une institutionnalisation du risque géopolitique
La Banque centrale européenne va demander aux grandes banques sous sa surveillance d’évaluer comment les risques géopolitiques peuvent affecter leur modèle économique et comment elles agiraient pour en réduire l’impact, a-t-elle annoncé (3).
Concrètement, il sera demandé à 110 banques de la zone euro d’identifier « les événements de risque géopolitique les plus pertinents susceptibles de conduire à une érosion d’au moins 300 points de base » du ratio de fonds propres disponibles pour absorber ces chocs.

L’économie mondiale a subi ces dernières années les répercussions de crises géopolitiques multiples, comme l’invasion russe de l’Ukraine, les cyberattaques attribuées à la Russie, les conflits régionaux — par exemple au Yémen ou dans la bande de Gaza — ou encore les tensions commerciales et technologiques entre les États-Unis et la Chine.
Ces risques peuvent toucher les banques de nombreuses façons : en influençant leurs portefeuilles de crédit et de marché, leur liquidité ou, plus généralement, leur modèle économique et leur gouvernance.
Parce qu’il accroît l’incertitude sur l’économie mondiale, la BCE a fait du risque géopolitique une priorité de surveillance pour la période 2026-2028, explique-t-elle. (6)
La BCE, qui teste régulièrement la capacité des banques à résister à des chocs définis en observant leur impact potentiel, va recourir cette fois à une méthodologie dite inversée : un résultat prédéterminé est fixé et chaque banque doit définir le scénario dans lequel ce résultat se matérialiserait. Ainsi, l’exercice visera à « renforcer les capacités propres de gestion des risques des banques, en particulier en matière de tests de résistance inversés, ainsi que leur aptitude à concevoir des plans de fonds propres et de redressement pertinents et prudents », précise l’institution monétaire. Les résultats seront dévoilés durant l’été 2026.
Conclusion
L’analyse des positions de l’ABE et de la BCE montre que le risque géopolitique est désormais reconnu comme un facteur central de vulnérabilité systémique pour le secteur bancaire européen. Si les indicateurs de solidité financière restent élevés, ils ne suffisent pas à neutraliser les effets potentiellement déstabilisateurs de chocs géopolitiques majeurs.
Les réponses prudentielles actuelles — règlement Dora, stress tests inversés — constituent des avancées significatives, mais demeurent limitées par la nature même du risque considéré. À ce titre, le risque géopolitique apparaît moins comme un risque à éliminer que comme une incertitude structurelle à gouverner, appelant une approche multidisciplinaire et évolutive. (5)
La problématique centrale est : dans quelle mesure le risque géopolitique constitue-t-il aujourd’hui un facteur de vulnérabilité systémique pour le secteur bancaire européen, et comment les dispositifs prudentiels existants tentent-ils d’y répondre malgré les limites inhérentes à sa modélisation ?
(4) https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/pr/date/2025/html/ssm.pr251212~69f656d4bf.fr.html
(5) https://www.bis.org/bcbs/publ/d582.pdf
(6) https://www.matteoiacoviello.com/gpr_files/GPR_PAPER.pdf
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